NE PAS VERSER DANS L’ANGÉLISME

© G. GOLANBernard Person, un des intervenants

Georges Golan : Vous avez une large expérience de la conception de cuisines centrales et tout ne vous semble pas encore satisfaisant dans ce monde de la conception des cuisines de collectivité.

Bernard Person : Dans le débat concernant les architectes, les bureaux d'études et les entreprises générales, je me sens assez à l'aise puisque je suis à la tête de trois structures de chacune de ces activités. Depuis vingt ans, j'ai réalisé 400 opérations de cuisines de collectivité, dont plus de 80 en hospitalier. Je me souviens que la conception actuelle de la cuisine centrale avec marche en avant ne s'est imposée que dans les années 1980. Les premières réalisations exemplaires, les hôpitaux de Rouen et de Saint-Brieuc, ne datent que de 1987. Ce sont surtout les sociétés de restauration pour le secteur des entreprises qui ont été à l'origine de l'organisation actuelle des cuisines de collectivité. L'hospitalier n'a suivi que dans un second temps et la progression du nombre de cuisines centrales en hospitalier a succédé à celle constatée dans le municipal. Durant les périodes de progression, on a assisté à la multiplication du nombre des bureaux d'études qui n'étaient que trois ou quatre il y a quinze ans. Ces nouveaux bureaux d'études ont été créés par des collaborateurs de grands bureaux d'études qui se mettaient à leur compte. La profession, malgré ses essais de regroupement au sein du Syncocyr d'abord et d'une branche spécialisée du CICF, reste encore atomisée.

GG : On dit que, lors de chaque concours, les établissements reçoivent plus de 40 candidatures. N'est-ce pas trop ?

BP : Oui, cela se dit et se constate mais il n'y a pas 40 structures en France capables de soumissionner sérieusement. Dans les années 1980, il y avait beaucoup de recherche concernant les process de la restauration de collectivité : liaison froide, quatrième et cinquième gammes, agroalimentaire, sous-vide. En 2002, il semble que cette recherche soit arrivée à un palier car un seuil technologique a été atteint et qu'il faut utiliser avant de concevoir d'autres nouveautés. D'autant que, dans ce métier, on tient beaucoup de discours théoriques, que l'on n'arrive pas à retrouver dans la réalité.

GG : Vous êtes critique vis-à-vis du fonctionnement des jurys.

BP : Ma première interrogation se porte sur la cohérence des équipes qui sous-missionnent. Un architecte, un bureau d'études et une entreprise générale s'allient pour un projet, © K. AVERTYJean Termens, nouveau président de l'UDIHRmais tous présentent la référence lors du prochain projet alors qu'ils ne sont plus dans la même équipe. Je me demande comment les jurys apprécient ces références que l'on retrouve dans des équipes concurrentes. Cela pose un problème de cohérence que l'on retrouve de façon plus cruciale lors de l'exécution du projet. En général, c'est l'architecte qui est déclaré mandataire commun, pourtant c'est la fonctionnalité plus que la conception des façades qui donne sa valeur à une réalisation. Pour moi, la façon dont les jurys apprécient les références reste encore mystérieuse. Autre sujet d'interrogation, l'anonymat voulu par la législation européenne lors des concours. Cela aboutit à rendre les appréciations du jury assez incomplètes car il a pris l'habitude de ne pas poser de questions car le débat direct avec l'architecte n'est pas autorisé. Un jury et sa commission technique ne peuvent pas tout comprendre sans poser de questions. Les questions sont possibles à travers le secrétaire de concours, mais cette procédure n'est presque pas utilisée. Je constate aussi que les débats des jurys portent insuffisamment sur la fonctionnalité. Le côté architectural d'un projet est très subjectif ; en revanche, la fonctionnalité, elle, peut s'apprécier sur des critères plus © G. GOLANobjectifs.

GG : Vous vous interrogez aussi sur la durée des projets et sa conséquence.

BP : Oui. Entre le moment du lancement de l'étude de faisabilité et celui où on lance le concours de maîtrise d'oeuvre, il se passe beaucoup trop de temps. L'évolution technologique peut rendre certains éléments dépassés et il faudrait refondre le programme, ce qui est très difficile à intégrer. Mais il y a d'autres problèmes encore. Un architecte définit le bâtiment en détail sans savoir quel matériel ce bâtiment va abriter. Le matériel est trop important dans une cuisine pour être défini après le dessin de ce bâtiment. Comment définir l'état des sols et des murs ainsi que celui des portes et fenêtres sans savoir quel sera le matériel qui servira ? Enfin, je m'interroge sur la course aux cuisines centrales et à la concentration. Faut-il aller vers des unités de plus en plus grosses qui servent les hôpitaux et le municipal ? Si cela ne s'est pas réalisé, ce n'est que pour des raisons politiques et de personnel. Dans tous les cas de course à la grosse taille, il faut intégrer le fait qu'une cuisine centrale, après dix ans, est très usée et dépassée techniquement.