8 REGLES A RESPECTER EN MATIERE DE PRIX

© K. BRUNIE

Plusieurs règles président à la passation de marchés publics. Et le prix, critère généralement décisif, fait l'objet d'une jurisprudence relativement développée. Comme pour les marchés privés, l'ordonnance du 1er décembre 1986 régit le contexte en matière de prix : les prix sont libres et se forment au travers de mécanismes de confrontation de l'offre et de la demande. La mise en concurrence des fournisseurs potentiels est spécifique aux marchés publics. Le Code des marchés publics édicte les procédures que l'acheteur devra respecter : publicité, analyse des offres et sélection du fournisseur. Aussi, les décisions des juridictions administratives sont venues préciser et rappeler les impératifs concernant les prix. En voici l'essentiel en huit points :

1 - Sincérité dans l'estimation du montant du marché !

Le Conseil d'Etat, le sommet des juridictions administratives, a estimé par une décision du 14 mars 1997 (conseil général des Pyrénées-Orientales) que la décision du conseil général d'attribuer un marché (à 921 907, 45 F) en deçà de l'évaluation du coût effectuée (950 000 F) n'était pas fondée. Et a donc annulé ladite décision. "L'autorité compétente doit procéder à une estimation sincère et raisonnable compte tenu des éléments alors disponibles, sous peine de vicier la procédure d'attribution du marché si la sous-évaluation a pour effet de soustraire l'opération à la publication prescrite", a estimé le Conseil d'Etat dans cette décision.

2 - Prix réaliste pour marché négocié

Autres annulations de marché, ceux d'établissements publics qui ont fixé un "prix irréaliste" avant d'entamer une procédure négociée. Deux décisions, l'une du tribunal administratif de Versailles (16 juin 1994, conseil général de l'Essonne), et plus récemment celle du Conseil d'Etat (29 décembre 1997, OPAC de Meaux) ont annulé les marchés. Le Conseil d'Etat a établi que dans l'affaire opposant le préfet de Seine-et-Marne à l'OPAC de Meaux, que la procédure a été irrégulière, et a en conséquence annulé ce marché selon le jugement suivant : "il ressort des pièces du dossier que le coût estimé a été fixé de manière irréaliste (...) l'existence d'un écart de 70 % entre l'estimation faite par l'Office et le montant de l'offre de l'entreprise la moins disante ; qu'ainsi, l'appel d'offres a été déclaré infructueux dans des conditions qui ne permettaient pas sa réussite ; que, par suite, le projet négocié après que l'appel d'offres eut été déclaré infructueux, a été passé à une procédure irrégulière".

3 - Prix et libre jeu de la concurrence

Si le Conseil d'Etat a rappelé les règles et principes de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (CE/27 mai 1998/SNBATI), le Conseil de la concurrence s'est également saisi de la question. Il a affirmé l'obligation pour la collectivité publique de ne pas influencer le libre jeu de la concurrence, notamment en introduisant un "schéma de calcul de rémunération qui comporte des éléments destinés à s'imposer aux entreprises" (Avis n°93-D-30 du 7 juillet 1993, prestations de service en matière d'urbanisme). Contre les rigidités relevant des séries de prix diffusées par les maîtres d'ouvrage public, le Conseil de la concurrence a estimé par l'avis du 24 septembre 1991 que cette pratique était "de nature à dissuader les entreprises de fixer leurs prix compte tenu d'éléments qui leur sont propres et à les inciter, au contraire, à aligner leurs prix". Idem pour les séries centrales de prix, cela malgré une instruction de la Commission centrale des marchés allant dans ce sens. À une exception près : les "prestations et fournitures © K. BRUNIEunitaires susceptibles d'être mises en oeuvre" dans les appels d'offres (décision 99-D-08 du 2 février 1999).

4 - Prix du soumissionnaire déterminable

Basée sur une décision de la haute autorité administrative du 9 mars 1960, l'obligation du soumissionnaire de fournir la possibilité de déterminer le prix de son offre a été rappelée lors d'une récente décision. Le TA de Versailles (24 mars 1994, conseil général de l'Essonne) a affirmé que "compte tenu de l'importance de l'élément du prix des prestations, les marchés déférés sont nuls et n'ont pu faire naître d'obligation entre les contractants" du fait de l'absence de possibilité de déterminer le coût du marché.

5- Prix : ni modifiable, ni négociable

L'article 300 du code des marchés publics prévoit que la commission d'appel d'offres ne peut demander de nouvelles offres que pour départager des candidatures équivalentes, et qu'hormis ce cas, elle ne peut discuter avec les candidats que pour leur faire préciser ou compléter la teneur de leur offre. En s'appuyant sur cet article, le Conseil d'Etat a finalement confirmé l'annulation du marché litigieux passé par la commission d'appel d'offres de l'OPHLM du Val d'Oise qui avait demandé à une des six entreprises soumissionnaires "de s'aligner sur l'entreprise la moins disante, en fournissant le serveur d'alarme..." Autre affaire, celle jugée par le TA de Nantes (18 mars 1988, Sarl Pilet) avait vu un rabais de 12 % de l'une des deux entreprises en concurrence entre deux séances : irrégularité notable !

6 - Notion de prix abusivement bas : pas pour les marchés publics

La notion de prix abusivement bas (art. 10-1, ordonnance 1er déc. 1986) est réservée aux consommateurs, pas à l'acheteur public selon la décision de la cour d'appel de Paris du 3 juillet 1998 (SMA et SA Morin Ordures services), reprise dans la décision du Conseil de la concurrence du 27 mai 1997.

7 - Communiquer le prix à des tiers

Si les lois du 17 juillet 1978 et du 11 juillet 1979 affirment le droit de toute personne à l'information notamment pour les documents administratifs (non nominatifs), elles prévoient la possibilité de refuser ce droit si l'information est susceptible de porter atteinte au secret en matière commerciale ou industrielle. Toutefois la décision du CE du 11 juillet 1990 a ouvert la possibilité de communiquer les prix arrêtés entre soumissionnaire et administration à des tiers. Et l'arrêt juge que l'article 299 du code des marchés publics ("procès verbal des opérations ne peut être rendu public ni communiqué à aucun candidat") ne fait pas obstacle à cette communication, en s'appuyant sur l'article 1 de la loi du 17 juillet 1978.

8 - Caractère immuable du prix

Plusieurs décisions successives du Conseil d'Etat (1951, 1980 et 1990) sont venues affirmer l'immuabilité des prix d'attribution de marché. Néanmoins des exceptions à la règle existent. Une erreur purement matérielle (document technique soumis à appel d'offres) et telle qu'il est possible à l'acheteur de s'en prévaloir de bonne foi peut exceptionnellement motiver une rectification du prix (CE, 26 nov. 1975, entreprise Py ; CE 12 mai 1989, société Fougerolles France, CE 3 juillet 1963, Entreprise générale E. Partry). L'exécution de prestations supplémentaires est un autre cas (CE 17 février 1978, Compagnie française d'entreprises). Enfin, des difficultés exceptionnelles et imprévisibles peuvent, sous conditions, ouvrir droit à indemnisation (CE, 19 février 1992, SA Dragages et Travaux publics ; CE 13 mai 1987, Citra France ; CE 29 mai 1991, EPA de Saint Quentin).